Istanbul
J’ai vécu
l’Istanbul de mon enfance comme un lieu en deux teintes, à moitié obscur,
couleur de plomb, dans le style des photographies en noir et blanc ; c’est
aussi ainsi qu’il m’en souvient. Bien que j’aie grandi dans la semi-obscurité
d’une maison-musée à l’ambiance pesante, je lui dois sans doute une part de ma
passion pour les espaces intérieurs. L’extérieur, les rues, les avenues, les
quartiers éloignés m’ont toujours fait l’impression d’être des lieux dangereux,
comme sortis de films de gangsters en noir et blanc.
J’ai toujours préféré l’hiver à l’été d’Istanbul. J’aime contempler les
crépuscules précoces, les arbres dénudés qui tremblent dans le poyraz, et, au cours des jours de
transition de l’automne à l’hiver, les gens qui rentrent chez eux à pas
empressés, par les rues à demi-obscures, vêtus de leur manteau noir et de leur
veste. Et les murs des anciens immeubles
et des konak en bois effondrés, qui
prennent une teinte propre à Istanbul, fruit de l’absence d’entretien et de peinture,
éveillent en moi une agréable tristesse et le plaisir de la contemplation.
.../...
…/…
Istanbul (2003)Orhan Pamuk, Savas Demirel,
J-F Pérouse, Valérie Gay-Aksoy, Gallimard 2007