faux affûtée
Reflétés
dans la lame de l’épée
de doux nuages d’été
(Garry Gay)
Maman bavarde avec le forgeron qui bat le fer rougeoyant. Je cligne des yeux, écoute le son du marteau qui heurte l’enclume, respire l’odeur âcre du métal chauffé et de la houille incandescente. Un chuintement lorsque la pièce est plongée dans l’eau froide.
Il va chercher la faux, flatte la lame, fine, brillante, d’un doigt caressant. «Voilà, le patron va pouvoir travailler ! ». Il l’installe sur la carriole, encombrée de courses du marché. Semences, savon, soufre, couvée de poussins dans une malle d’osier, sel, huile, sardines salées, gros pains, et quelques billes de chocolat que Maman cache en haut de l’armoire, et nous distribue avec parcimonie
Le soleil est déjà haut dans le ciel, l’air transparent. C’est le premier jour des vacances. Cet après-midi, j’irai me baigner avec mes sœurs à l’étang. Notre frère veut nous apprendre à nager et nous a fait exécuter les mouvements, couchées à plat ventre, en équilibre, sur un tabouret.
Le cheval a pris le galop. Ma mère l’invective en patois. Elle tire sur les rênes de toutes ses forces. Sur la mare au coin de l’allée qui mène à la maison, une cane et ses canetons, se glissent à l’ombre d’un chêne. J’ai un peu peur. Dans le virage le cheval s’emballe. L’espace de quelques secondes je ne vois plus rien. La voiture s’est arrêtée d’un coup. Les poussins s’éparpillent en pépiements affolés. La tête appuyée sur le tronc, Maman demeure immobile.
Pendant tout le trajet, la faux qui dépassait un peu trop a cisaillé les fesses du cheval l’agaçant jusqu’à le rendre fou.
Maman est morte.