Une mort très douce
Elle continua donc d'enretenir des brumes dans sa tête et de dire oui à tout sans s'étonner de rien. Dans ses dernières années elle était parvenue à une certaine cohérence ; mais à l'époque où sa vie affective était le plus tourmentée, elle n'avait ni doctrine, ni concepts, ni mots pour la rationaliser. De là venait son malaise effaré.
Penser contre soi est souvent fécond ; mais ma mère c'est une autre histoire. Riche d'appétits, elle a employé toute son énergie à les refouler et elle a subi ce reniement dans la colère. Dans son enfance, on a comprimé son corps, son coeur, son esprit, sous un harnachement de principes et d'interdits. On lui a appris à se serrer elle-même étroitement dans des sangles. En elle subsistait une femme de sang et de feu : mais contrefaite, mutilée, étrangère à soi.
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Il n'y a pas de mort naturelle : rien de ce qui arrive à l'homme n'est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s'il la connaît et y consent, une violence indue.
Simone de Beauvoir (Une mort très douce)